Axe 4
4. Toxicologie humaine : Effets des toxines algales et leurs dérivés sur l'Homme par les diverses voies d'exposition: consommation d'organismes marins, exposition par inhalation ou contact
Coordinateurs : Anne Thébault, Valérie Fessard, Romulo Araoz
Equipes impliquées:ANSES-DER ; ANSES-Laboratoire de Fougères; CNRS-Gif-Sur-Yvette, LIEN-UBO
L’Homme est exposé aux phycotoxines essentiellement par voie orale par la consommation de fruits de mer ou de poissons contaminés et par inhalation via les aérosols générés sur les plages, voire par contact cutané lors de baignades ou d’activités nautiques. L’exposition par ingestion à diverses toxines est rapportée sur l’ensemble du territoire français y compris les départements et territoires d’Outre-Mer. Par contre, les expositions par inhalation sont concentrées sur la zone Méditerranéenne avec la présence du dinoflagellé Ostreopsis cf. ovata produisant des toxines de type palytoxines et ovatoxines. Ainsi, dans ce cas en particulier, les expositions de l’Homme aux toxines produites par cet organisme pourraient avoir lieu dans un temps restreint via des voies différentes (expositions agrégées). Cependant les études de toxicité sont encore limitées en raison du manque de toxines purifiées disponibles (lien avec axe 1).
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Evaluation toxicologique
Le devenir des phycotoxines après exposition chez l’Homme (étude cinétique comprenant absorption, distribution, métabolisme, excrétion) a été encore trop peu étudié en raison du coût important en moyens analytiques que ce genre d’études nécessite. Cependant certaines données peuvent être générées grâce à des approches in vitro et des moyens de modélisation peuvent amener des informations majeures sur les mécanismes mis en jeu. Des travaux ont été engagés montrant que les toxines PTX2 et SPX sont métabolisées et que un ou plusieurs métabolites sont générés. L’identification structurale de ces métabolites, leur purification, les voies métaboliques impliquées ainsi que la toxicité de ces métabolites restent cependant un champ d’investigation (lien avec axe 1).
Si pour certaines toxines les effets toxiques ont été bien décrits, il reste souvent nécessaire d’affiner les données pour mieux caractériser le danger et comprendre les mécanismes impliqués. De plus, si les effets à court terme (intoxications aiguës) sont généralement étudiés, les effets à long terme (effets sur la santé générés suite à une exposition répétée), si ceux-ci sont pertinents, nécessitent encore d’être mieux cernés pour certaines toxines d’intérêt (telles que l’acide domoïque). Enfin, certains composés identifiés potentiellement toxiques, comme les pinnatoxines n’ont à ce jour pas été associées à des cas d’intoxication chez l’Homme alors que leur toxicité est démontrée chez l’animal de laboratoire.
Il ne faut pas oublier que pour diverses toxines les cibles cellulaires n’ont pas été identifiées et les voies mises en jeu dans la toxicité ne sont pas clairement établies. Il faut donc poursuivre les études mécanistiques par des approches dirigées ou non ciblées comme les techniques omiques. De plus, l’identification de cibles spécifiques pourra ouvrir la porte à l’innovation biotechnologique avec la proposition de nouveaux outils de détection et de thérapeutiques ciblées.
Les tests cellulaires peuvent se révéler de bons outils, compétitifs avec les dosages par chimie analytique, pour la détection et la quantification de certaines toxines comme pour le test hémolytique avec les palytoxines/ovatoxines ou pour le test Neuro2A avec les ciguatoxines. Si le test Neuro2A constitue un test d’intérêt pour l’application de la règlementation sur les ciguatoxines dans les poissons, des essais inter-laboratoires ainsi que des études de comparaison entre les diverses méthodes disponibles seront cependant nécessaires pour conforter les premiers résultats attendus du projet Coincide (projet exploratoire du GdR) entre les axes 1 et 4. Les limites de détection et de quantification devront aussi être optimisées pour être compatibles avec les seuils considérés sans effet néfaste pour l’Homme. Même si les rongeurs restent des modèles d’intérêt pour investiguer les effets toxiques des phycotoxines, ils nécessitent souvent de grande quantité de toxines et ne permettent pas de tester de nombreuses conditions (doses et temps d’exposition) en plus des questions de bioéthique liée à l’expérimentation animale. Ces contraintes ne sont pas retrouvées avec les tests in vitro et les études peuvent être réalisées sur des modèles cellulaires humains. Si les études sont encore balbutiantes, les résultats sont très prometteurs pour envisager des travaux sur des modèles plus complexes et mimant au mieux les organisations structurales des tissus et organes. Ainsi, les systèmes de co-culture peuvent favoriser l’identification de cellules cibles des phycotoxines au sein d’un tissu de même que les interactions entre les différents types cellulaires en réponse à l’exposition aux toxines. Cette approche est utilisée par des équipes du GdR notamment pour étudier les mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans les troubles sensitifs cutanés induits par les ciguatoxines (paresthésies, dysesthésies au froid, prurit).
L’investigation du potentiel toxique avec la détermination de Toxicity Equivalent Factors (TEFs) permettra d’associer les données de concentration des dérivés majeurs présents dans les fruits de mer à leur toxicité intrinsèque pour déterminer une concentration de phycotoxines reflétant la toxicité globale (Botana et al., 2017). Cette approche doit également être établie pour les toxines émergentes, spirolides et pinnatoxines, qui appartiennent à la famille des imines cycliques.
Aucun cas d’intoxication chez l’Homme n’ayant été rapports dans le monde en lien avec les imines cycliques, ces toxines ne sont pas réglementées par les autorités sanitaires alors que l’exposition chronique à ces toxines pose la question d’un risque potentiel pour la santé publique en raison de leur forte affinité pour les récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine (RnACh) de type neuronal impliqués dans des maladies neuro-dégénératives. Des études visant à déterminer le mécanisme d’action et les affinités propres aux dérivés de la famille des imines cycliques sont nécessaires. Ces recherches participent également à une meilleure connaissance de la pharmacologie des RnACh de type neuronal et au développement de nouveaux agents thérapeutiques.
Enfin, les phycotoxines sont souvent retrouvées sous forme de mélanges alors que les effets cocktails restent méconnus. Depuis la création du GdR, une partie des travaux de recherche se sont orientés vers la détermination d’effets synergiques ou antagonistes potentiels des toxines majoritaires retrouvées en association. Cependant, compte tenu de la difficulté pour étudier les effets combinés, de nombreux travaux restent encore à mener. Le choix des mélanges d’intérêt devrait pouvoir s’appuyer sur les données de contamination des coquillages afin de mimer au mieux les conditions d’exposition des consommateurs.
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Modélisation mathématique du risque potentiel pour la population humaine
L’OMS reconnaît l’utilité de l’Appréciation Quantitative des Risques, qui prend la forme d’une modélisation probabiliste, pour l’aide à la décision dans le domaine de l’eau potable et la FAO dans le domaine alimentaire (OMS, 2004 ; FAO, 2000). L’appréciation quantitative des risques vise à partir d’un niveau de contamination donné et d’une exposition humaine quantifiée (comme la consommation de coquillages) à définir la probabilité d’un évènement indésirable pour un individu ou pour une population humaine.
En lien avec l’ANR ACCUTOX, dans le cadre d’un CRD financé par l’Anses une enquête de consommation est en cours sur plus de 2000 consommateurs en zones côtières en 2016-2017.
. La variabilité de la contamination au niveau des huîtres peut être suivie sur le plan spatial et temporel au niveau des sites ostréicoles contaminés, en lien avec le suivi de paramètres environnementaux. Cette variabilité peut aussi s’exprimer en termes de profils toxiniques différents. Si une partie de la variabilité de contamination des coquillages peut être expliquée par des variables environnementales (en lien avec l’axe 2 et 3) il est alors possible de prédire ce qui se passerait dans des situations non observées.
Pour déterminer l’effet d’une dose ingérée sur l’Homme, la disponibilité des données est un facteur limitant. Lorsque des données d’intoxications humaines sont disponibles, elles peuvent être utilisées pour établir un modèle de dose-réponse, qui permet d’établir un repère toxicologique sur lequel fonder une évaluation des risques sanitaires. Une approche de ce type a été réalisée récemment sur les PSP (Arnich et al., 2016 conférence ICHA).
La modélisation permet d’évaluer l’effet potentiel de telle ou telle situation sur la santé qui ne peut pas être observé ni testé dans la réalité (certaines pouvant être plus dangereuses que d’autres pour les individus). De même, l’effet de changements ou de maintien dans les mesures de gestion du risque peuvent être testées (Thébault et al., 2012).
La modélisation est un outil conceptuel qui permet de tester des chaînes de causalité vers l’amont, par exemple via l’apport de source de pollution terrestre ou vers l’aval en envisageant différents modes d’action des toxiques envisagés (court ou long terme, fonction de la dose, de la souche ou de l’état physiologique de l’hôte) et de hiérarchiser entre elles différentes variables.